Véhicules intermédiaires : la voiture du futur sera légère ou ne sera pas

5 Août 2025

Usbek&Rika publient une tribune de Jean Dard & Loïse Lyonnet – 16 juillet 2025

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TRIBUNE // À mi-chemin entre le vélo électrique et la voiture sans permis, les véhicules intermédiaires (ou « vélis » dans le jargon) apparaissent comme une solution de mobilité intéressante dans les territoires ruraux. Dans cet article, Jean Dard, designer, et Loïse Lyonnet, ex-collaboratrice du ministère de la cohésion des territoires, passent en revue les avantages de ce mode de transport encore mal connu des Français.

Ancien fleuron de l’industrie française, l’automobile peine aujourd’hui à trouver sa voie. Dans les dix années à venir, plus de 75 000 emplois industriels devraient ainsi être détruits dans ce secteur, soit une perte supérieure à 22 % des effectifs, d’après une étude publiée fin juin par la Plateforme automobile.

Pour les constructeurs de voitures, la conjoncture est défavorable en France comme en Europe, même si l’échéance de 2035 pour l’interdiction de la vente de voitures neuves à moteur thermique par l’Union européenne est aujourd’hui remise en question. De quoi nous rappeler l’urgence de repenser nos modes de déplacements et la nécessité de trouver des alternatives durables.

Justement, le salon VivaTech exposait cette année de drôles de véhicules qui ont beaucoup fait parler. Sobres en termes de consommation de ressources, se déplaçant à une vitesse comprise entre 25 et 90 km/h, fabriqués en France, vertueux en matière de responsabilité territoriale, recyclables, pensés pour les besoins de mobilité du quotidien… Les « vélis » apparaissent comme une alternative crédible à la voiture individuelle.

Entre le vélo électrique et la voiture sans permis

La catégorie des vélis rassemble une grande diversité de modèles. Ils permettent de transporter une à quatre personnes, sont couverts ou non d’un toit, et disposent de trois ou quatre roues. Au niveau technique, il s’agit de véhicules à mi-chemin entre le vélo électrique (25 kg, une place, 25 km/h) et la voiture sans permis (jusqu’à 450 kg, 2 ou 4 places, 90km/h). De quoi répondre à la diversité des besoins et s’adapter à une pluralité de territoires et de dénivelés.

L’idée reçue selon laquelle les habitants des zones rurales traversent des dizaines de kilomètres chaque jour ne se vérifie pas dans tous les territoires

Qu’ont en commun tous les vélis ? D’abord, ils sont conçus pour répondre aux besoins de mobilité des Français en dehors des grands centres-villes métropolitains irrigués par les transports en commun. L’idée reçue selon laquelle les habitants ruraux traversent des dizaines de kilomètres chaque jour ne se vérifie pas dans tous les territoires : comme le soulignait un rapport du Sénat en 2021, « de très nombreux déplacements depuis les zones peu denses sont des déplacements courts », sans compter que la distance médiane domicile-travail en zone rurale est de 13 km d’après l’INSEE.

Par ailleurs, les vélis présentent un faible impact climatique comparé à la voiture thermique. Leur petit gabarit, leur légèreté et leur faible consommation énergétique en font des véhicules vertueux dans une logique de décarbonation, sans pour autant faire de compromis en matière de déplacement puisqu’ils offrent jusqu’à 135 km d’autonomie dans le cas de La Bagnole de Kilow. Ce qui en fait le modèle idéal pour couvrir l’ensemble des trajets courts du quotidien (domicile-travail, école, courses, etc).

Un coût encore élevé

Le développement du véhicule intermédiaire fait face à plusieurs enjeux, du plus pragmatique au plus psychologique. Le coût d’achat, tout d’abord, est pour l’instant un frein car le prix de vente moyen des véhicules intermédiaires reste élevé en l’absence d’économies d’échelle pour les constructeurs (entre 4 000 et 17 000 euros par véhicule).

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Des Supercycles sur la route / © Jean Dard

Par ailleurs, la filière est incarnée par de petites structures. Elles sont agiles, certes, mais également sujettes aux difficultés de financement. Un frein pour développer massivement ces solutions de mobilité, pérenniser leur projet entrepreneurial afin de garantir aux acheteurs un SAV dans la durée, soutenir le développement financier et technique des véhicules, sans oublier de convaincre les investisseurs et les usagers.

Le caractère contraignant et coûteux de l’homologation, ainsi que l’évolution du cadre juridique, actuellement inadapté, sont également des contraintes de taille pour le développement de la filière. Le secteur ne bénéficie aujourd’hui d’aucune catégorie dédiée qui permettrait d’englober la diversité de ces véhicules assez puissants pour des milieux ruraux vallonnés mais également adaptés aux centres-villes. Il serait nécessaire d’adapter la législation pour s’ajuster au caractère hybride de ces véhicules, les adapter aux cahiers des charges des assurances, et éviter tout compromis avec la sécurité.

Comment faire rêver avec un véhicule plus léger mais moins connu, moins puissant et moins rapide qu’une voiture ?

Les vélis se caractérisent aussi par leur caractère « rupturiste ». Ils sont porteurs d’un imaginaire bien loin de celui vendu aujourd’hui par l’industrie automobile. Comment faire rêver avec un véhicule plus léger mais moins connu, moins puissant et moins rapide qu’une voiture ? La désirabilité des véhicules intermédiaires est un sujet en construction, sur lequel travaillent les acteurs du secteur. En ce sens, une résidence itinérante d’artistes à bord de Supercycles a été organisée en 2024, afin de bâtir un imaginaire positif autour des véhicules intermédiaires. D’autres projets suivent le même objectif, comme le film du vélo-reporter Jérôme Zindy La Nouvelle Aventure Mobile, ou encore la campagne de promotion des vélis « Voies Libres ».

Déjà roulants, testés, éprouvés, les véhicules intermédiaires n’attendent plus qu’un coup de projecteur pour être connus des décideurs, du grand public et des législateurs. Il s’agit d’adapter la loi, aujourd’hui obsolète, à la diversité et aux spécificités des vélis. Et pourquoi pas de donner un coup de pouce sous la forme d’aides à l’achat pour permettre à ces véhicules d’être compétitifs auprès des vélos électriques et des voitures sans permis.

Une écosystème français en pleine effervescence

Bonne nouvelle, l’écosystème français du véhicule intermédiaire est particulièrement foisonnant. Le développement de la filière a été propulsé par l’eXtreme Défi, qui se définit comme un « parcours d’innovation extrême en coopétition dont l’objectif est de créer de nouvelles solutions de déplacement pour remplacer la voiture dans les déplacements du quotidien des territoires péri-urbains et ruraux, et la logistique en ville ». Ce programme, mis en œuvre par l’ADEME en 2022, visait à fixer un cap pour les constructeurs et à soutenir le développement des vélis (prototypage et développement industriel) répondant au cahier des charges défini par l’Agence.

Parmi les lauréats, on retrouve plusieurs projets prometteurs, avec le développement d’usines de production en ligne de mire. Certains sont actifs (Karbikes, Acticycles, Supercycle, Sanka Cycle, Midipile), la plupart du temps sous la forme de véhicules à pédales pour des raisons d’apport énergétique. Cela permet de limiter l’usage de la batterie électrique tout en faisant de l’exercice physique. D’autres, au contraire, sont passifs, c’est à dire légers mais entièrement motorisés (Avatar, Kilow, La Bagnole). Selon Gabriel Plassat, spécialiste innovation, mobilité et transition à l’Ademe et responsable du programme, ces véhicules low-tech « sont dix fois moins coûteux et plus durables – car recyclables à l’infini. Également dix fois plus réparables, plus légers, plus simples et plus efficients ».

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Le véli Supercycle, conçu par Jean Dard, est disponible sous forme de kit à construire / © Jean Dard

Les vélis intègrent aujourd’hui les modèles industriels locaux, favorisant à la fois la relocalisation de la production, la transmission de savoir-faire à partir de projets innovants et l’emploi en France. En ce sens, les producteurs de véhicules intermédiaires représentent un bon exemple de responsabilité territoriale des entreprises (RTE).

Fondé sur la coopération, le modèle des vélis permet aussi de favoriser des initiatives innovantes telles que Vhélio, un modèle open source, participatif et non-capitalistique, reposant sur la recherche du bien commun. Le concept est simple : l’association propose gratuitement les plans de fabrication et, au choix, une nomenclature complète ou les tubes prêts à être assemblés auprès d’une chaudronnerie partenaire. À terme, l’objectif est de vendre le véli comme un meuble Ikea en kit…

Un potentiel fort de création d’emplois

Les véhicules intermédiaires apparaissent comme le chaînon manquant dans le maigre panel des solutions de mobilité en milieu rural. Ils font d’ailleurs partie des 30 véhicules actuellement en cours de test dans 10 territoires dans le cadre de l’initiative « 30 vélis 2025 » portée par la Fabrique des Mobilités. Leur potentiel est d’autant plus évident qu’ils sont aujourd’hui quasi entièrement réalisés en France. Seuls certains composants électroniques sont importés. En ce sens, le développement des vélis est vertueux d’un point de vue industriel. De quoi augurer d’un développement du secteur synonyme de créations d’emplois sur tout le territoire (production, distribution, maintenance et reconditionnement des véhicules).

Des expérimentations comme celle pilotée par la Fabrique des Mobilités permettent aux constructeurs de rencontrer leur public et de démontrer que ces véhicules représentent une alternative viable dans l’ensemble des bourgs, villages, petites villes ou zones de moyenne montagne. Selon l’Ademe, les vélis pourraient « satisfaire 60 % des besoins de mobilité du quotidien, en particulier dans le monde rural ». Pour le « dernier kilomètre », ces véhicules low-tech séduisent aussi en ville, comme à Marseille où, lors d’un forum co-organisé par l’Ademe en 2024, l’adjointe chargée des mobilités Audrey Gatian, louait le Véli comme « solution la moins coûteuse, la plus décarbonée et la moins encombrante dans l’espace public ».

Alors que les ventes de SUV atteignent des records en France, comment susciter l’adhésion avec un véhicule correspondant tout juste aux besoins du quotidien ?

Plus légers qu’une voiture, moins coûteux à l’usage, respectueux de l’environnement, les vélis attendent de profiter d’une ambition politique nécessaire pour soutenir la filière sous la forme d’aides à l’achat, au même titre que les vélos et voitures électriques. Avec, en toile de fond, une réflexion plus large sur l’ajustement des aides en fonction du prix de vente, du poids ou du degré de pollution induit par les différents véhicules.

Forte d’un écosystème déjà dynamique, la France est en mesure de construire collectivement un nouvel imaginaire des mobilités douces, d’adapter les infrastructures et de bâtir une politique publique volontariste, à la hauteur des enjeux climatiques. Une aventure qui se joue d’ores et déjà à l’échelle territoriale, tant les élus locaux apparaissent comme des acteurs clés pour soutenir ces véhicules low-tech.

Mais le défi est aussi et avant tout d’ordre culturel : alors que les ventes de SUV atteignent des records en France et que l’utopie des voitures volantes a bercé la génération des baby-boomers, comment susciter l’adhésion avec un véhicule correspondant tout juste aux besoins du quotidien ?

Cette tribune est cosignée par :

> Jean Dard : Designer diplômé de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, Jean Dard s’implique dans plusieurs projets de véhicules intermédiaires. Fondateur de Supercycle, bénévole actif de Vhélio, il fait aussi partie de l’équipe d’Acticycle.

> Loïse Lyonnet : Autrice pour plusieurs think tanks et institutions (Fondation Robert Schuman, Observatoire européen de l’audiovisuel, etc.) et fondatrice du média Culture Au Coeur, Loïse Lyonnet a précédemment travaillé au sein du cabinet ministériel de la Cohésion des Territoires, puis dans un groupe parlementaire au Sénat.

– 16 juillet 2025

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