Traverser la France à vélo, le défi fou de jeunes de quartiers populaires

19 Juil 2024

En juillet 2024 Reporterre publie un reportage sur une dizaine de jeunes de quartiers populaires mènent un périple à vélo de Saint-Ouen à Marseille, avec Banlieues climat. Objectif : sensibiliser au dérèglement du climat au contact de paysans et autres acteurs de l’écologie.

Leyna n’avait jamais fait de voyage à vélo. Pour tout dire, la jeune femme n’était pas non plus une cycliste aguerrie. Quand son ami Emre lui a proposé un Paris-Marseille à bicyclette en dormant sous tente tout en rencontrant des paysans au fil du périple, elle a tout de même dit oui. « Ça semblait drôle et intéressant », sourit l’étudiante en langues appliquées anglais-russe à Strasbourg. Elle a pris la route le 12 juillet, aux côtés d’une dizaine d’autres jeunes de Saint-Ouen-sur-Seine, Marseille et Les Mureaux pour rouler 800 kilomètres à travers la France. Un voyage piloté par l’association Banlieues climat, qui sensibilise les jeunes des quartiers populaires au changement climatique et aux alternatives pour y faire face.

Trois jours après son départ de Saint-Ouen-sur-Seine, en Seine-Saint-Denis, l’équipée a marqué l’arrêt dans le quartier des Brosses, à Villeurbanne en périphérie lyonnaise. Les visages sont fatigués, mais le moral est joyeux. Les cyclistes ont passé la matinée à discuter circuits courts et alimentation chez un maraîcher bio en Saône-et-Loire, puis pédalé sous la pluie et le vent toute l’après-midi. Ce soir, c’est ciné-débat sur l’agriculture avec les jeunes du quartier, après le visionnage du documentaire Douce France, qui retrace l’enquête d’une poignée de lycéens sur le projet du mégacomplexe Europacity.

Aymen, à l’énergie débordante, lance à la cantonade : « Les jeunes des Brosses, est-ce que le climat vous intéresse ? » Un tiède « non » lui répond. « Et une formation de huit heures sur le climat, ça vous intéresse ? » Nouvelle négation molle. Et pourtant.

À la fin du film, les questions fusent vers Anthony, maraîcher lyonnais venu expliquer les ressorts de son métier. « J’ai toujours rêvé d’avoir une ferme, mais je croyais qu’il fallait forcément avoir des parents paysans pour entrer dans le métier », s’étonne Hodane, 21 ans, en licence management durable à la Doua. « De moins en moins d’agriculteurs sont fils de paysans, lui répond Anthony. Ce sont de nouveaux paysans sans lien avec le métier qui tirent l’agriculture vers le haut. On a besoin de personnes avec un regard extérieur pour nous faire réfléchir sur notre système. » La jeune femme repartira avec le numéro de l’agriculteur.

Relier écologie et quartiers populaires

Fondée à l’automne 2022, Banlieues climat fait le constat que, pour faire face à l’urgence climatique, il faut s’informer et surtout se sentir légitime à s’exprimer. Pour y parvenir, l’association initie gratuitement les jeunes des quartiers populaires aux questions d’écologie.

Élaborée avec les experts du Giec [1], leur formation a été labellisée par le ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur. Elle est dispensée à des groupes de 16 à 25 ans, dure sept heures et donne accès à un diplôme symbolique. Chaque session coûte 3 500 euros, réglés par les collectivités. En un an, l’association est intervenue auprès de 250 jeunes, dont certains sont devenus à leur tour des formateurs.

Majoritairement blanches et pour certaines bourgeoises, les associations écolos « classiques » peinent à toucher les classes populaires, pourtant vivement touchées par les vagues de chaleur, la pollution de l’air et les inégalités alimentaires.

Si la recette de Banlieues climat fonctionne, c’est parce qu’elle a trouvé la solution à cet écueil en misant sur un dialogue d’égal à égal. « Les jeunes qui participent à nos formations n’ont quasiment jamais entendu parler du climat. Ils viennent “parce qu’ils n’ont rien à perdre” et se retrouvent face des jeunes qui leur ressemblent, enthousiastes sur les questions écologiques, et auxquels ils peuvent s’identifier », présente Axel, formateur de l’association, qui en a lui-même profité.

« Ce voyage n’est pas un exploit sportif, mais une aventure humaine »

Pour continuer à tracer sa route, Banlieues climat a organisé cet été un voyage à vélo qui réunit salariés, formateurs, élèves, et mêmes des jeunes sans lien avec l’association. Les jeunes roulent entre 40 et 70 km chaque jour, bien qu’une partie du périple s’effectue en minibus pour éviter les zones dangereuses. « Ce voyage n’est pas un exploit sportif, mais une aventure humaine à vélo », souligne Jean-Luc Letouze, vélotouriste accompli qui a planifié l’itinéraire. Chaque étape explore un lieu emblématique de la transition écologique et sociale.

Au programme : un atelier pour comprendre l’intérêt des haies pour la biodiversité, une étape à l’écolieu La Casba pour échanger sur l’autogestion, un petit-déjeuner « pâte à tartiner » pour aborder les thématiques de la déforestation et les conséquences environnementales et sanitaires de l’industrie agroalimentaire.

Dès la première journée, les cyclistes ont fait une pause à l’école d’horticulture du Breuil, dans le bois de Vincennes, où ils ont confectionné des bombes à graines. Depuis, ils disséminent ce mélange de terre fertile, de compost et de semences le long de leur parcours.

Ce périple vise surtout à tisser des liens entre Banlieues climat et les associations, habitants et militants croisés en chemin. À l’instar des bombes à graines, « l’objectif est de s’implanter partout pour essayer de toucher un maximum de personnes, explique Axel. Le maillage est très important, c’est en étant le plus nombreux possible qu’on pourra avoir du poids auprès des institutions pour faire changer les choses demain ».

De passage dans le quartier de la Madeleine à Joigny, dans l’Yonne, la troupe a fait une battle de rap écologique avec des jeunes rencontrés par hasard. « C’était complètement improvisé, on les a vu nous regarder de loin, on les a invités à nous rejoindre », décrit Leyna. « C’était absolument génial ! s’émerveille Axel. Des jeunes m’ont fait jurer de revenir pour leur parler du climat. C’est là qu’on voit que personne n’est insensible aux problématiques écologiques. Ces jeunes ne sont pas écoutés mais une fois qu’on arrive à les faire rentrer dans cette dynamique, ils sont tous capables de s’impliquer et de faire changer les choses. »

Directrice de la Maison de quartier des Brosses, Farida Kendri abonde : « Nos jeunes font des chantiers pour financer leurs projets personnels. Vous devriez les voir réhabilitant un jardin d’immeubles à l’abandon en potager collectif. Ils se prennent au jeu et acquièrent énormément de connaissances ! »

De passage à Villeurbanne pour visiter la Maison de quartier, la cofondatrice de Banlieues climat Sanaa Saitouli s’apprête d’ailleurs à signer un plan d’action avec la Métropole de Lyon pour y développer des formations. Elle dispose du soutien de Marie-Charlotte Garin, députée écologiste de la 3e circonscription du Rhône, qui a accueilli Banlieues climat à l’Assemblée. « On ne peut pas faire mieux qu’eux pour expliquer l’urgence climatique dans les quartiers populaires. Je m’engage à vous soutenir et espère vous accueillir à Lyon après Villeurbanne », a annoncé l’élue avant le ciné-débat.

Pas le temps de reposer les mollets fatigués. La troupe est repartie dès le lendemain matin, direction Marseille, où une nouvelle formation est en cours d’élaboration par Féris Barkat, l’un des cofondateurs de l’association, et ses collègues dans les quartiers nord de la ville.

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